L’administration fiscale peut-elle refuser l’enregistrement d’un acte
L’article 1701 du Code Général des Impôts (CGI) dispose que :
« Les droits des actes et ceux des mutations par décès sont payés avant l’exécution de l’enregistrement, de la publicité foncière ou de la formalité fusionnée, aux taux et quotités réglés par le présent code.
Nul ne peut en atténuer ni différer le paiement sous le prétexte de contestation sur la quotité, ni pour quelque autre motif que ce soit, sauf à se pourvoir en restitution s’il y a lieu.
A défaut de paiement préalable de la taxe de publicité foncière, le dépôt est refusé ».
Cet article offre la possibilité au comptable des impôts de s’opposer à l’enregistrement et de réclamer unilatéralement et de manière totalement discrétionnaire un supplément de droits.
C’est ce qui est arrivé au notaire d’un de nos clients qui déposait une déclaration de succession mettant en œuvre des principes de fiscalité internationale (le de cujus et le client étaient des non-résidents fiscaux). L’administration a refusé d’enregistrer la déclaration et sans donner de motif, sans envoyer de proposition de rectification, a calculé des droits de succession différents de ceux établis par le notaire.
Ce dernier a dû s’exécuter et payer un supplément d’impôt de 200 000€ pour le compte de son client.
Saisis du dossier nous portons l’affaire devant le tribunal de Grande Instance pour des motifs de fond tenant à l’application des règles de fiscalité internationale, mais aussi pour vice de procédure parce que la possibilité de réclamer à un contribuable des impôts supplémentaires sans l’informer au préalable des motifs du rappel d’impôt nous semble contraire à l’ensemble des dispositions du Livre des Procédures Fiscales et aux principes généraux des droits de la défense.
Le tribunal rejette notre demande.
En l’appel, le cabinet joint à la procédure une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 1701 du Code Général des Impôts.
Si, d’après la jurisprudence, le principe des droits de la défense s’impose à l’administration fiscale, le législateur se doit, dans les dispositions qu’il édicte et qui accordent certaines prérogatives aux services fiscaux, de veiller à ce que celles-ci n’aboutissent pas, dans leur mise en œuvre, à une violation de ce principe à caractère constitutionnel. Notamment, le législateur aurait dû prévoir que l’intéressé puisse être entendu et qu’il puisse ainsi préalablement faire valoir ses observations, ce que le deuxième alinéa de l’article semble exclure.
En pratique, la mise en œuvre de cet article est d’autant plus choquante lorsqu’on la compare à la procédure de taxation d’office applicable à un héritier qui ne déposerait pas de déclaration de succession. Car même dans le cadre d’une taxation d’office, l’administration fiscale se doit d’adresser une proposition de rectification motivée au contribuable, qui va ainsi avoir connaissance des motifs de droits qui sous-tendent le redressement et pourra présenter ses observations dans un délai de 30 jours.
Du point de vue des droits de la défense, le contribuable qui ne respecte pas son obligation déclarative se trouve alors dans une situation plus favorable que celui qui, diligent, se soumet à cette obligation.
Cet argument a dû convaincre l’administration, puisqu’au stade de l’appel, elle a complétement abandonné les redressements.
Aurait-il aussi convaincu le juge ? Le texte de l’article 1701 aurait-il été entaché d’illégalité ? Nous ne pouvons que l’espérer !